Les Carrières souterraines

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par Michel Colchen

(cliquer sur les figures pour les ouvrir en plus grand dans une page séparée)

La topographie de la colline Rodin est assez contrastée ; une cinquantaine de mètres de dénivelé, soulignée, à proximité du musée éponyme, par un escarpement de plusieurs mètres d’amplitude. Ces contrastes sont les reflets de la nature géologique du sous-sol correspondant ici au flanc NE de l’anticlinal de Meudon (figs 1 et 2).

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Fig. 1 – Le pli anticlinal de Meudon dans le Bassin de Paris

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Fig. 2 – Succession stratigraphique des formations géologiques (extrait d’Alain Galoyer, 1990)

Quatre formations géologiques on été exploitées en carrières à ciel ouvert ou en galeries souterraines : la craie du Crétacé supérieur, les argiles du Sparnacien, les calcaires du Lutétien et le gypse du Ludien (fig 3).

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Fig. 3 – Coupe géologique à travers les carrières de la colline Rodin (extrait de E. Gossé, 1990)

1 – Les carrières Arnaudet : des carrières controversées

Les controverses portent sur la stabilité des galeries souterraines distribuées selon trois niveaux de galeries creusées dans la craie selon deux ensembles qui se croisent à angle droit et sont ainsi séparées par des piliers (cf. pieds tournés) qui se superposent sur une même verticale. (fig. 3).

La craie apparaît comme une roche sédimentaire homogène, non stratifiée, que les maîtres carriers ont su creuser selon des galeries (fig. 4) dont les voûtes en plein cintre sont du plus bel effet esthétique (fig. 4, photo à droite). Leurs qualités architecturale et esthétique et leur intérêt scientifique, unanimement reconnus, font qu’à ces titres elles ont été classées Monument historique en 1986.

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Fig. 4 – Les carrières souterraines

Dans la perspective d’ouverture des carrières au public, la mairie avait sollicité, en 2011, un bureau d’étude géotechnique, afin qu’il effectue une analyse de la situation et fasse des propositions pour la mise en sécurité des carrières.

Les premiers résultats de ces études, présentés en 2012, révélèrent quelques disparités locales, notamment de quelques piliers (tableau ci-dessous).

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Tableau présentant les premiers résultat des travaux du bureau d’étude géotechnique ANTEA

Arrêté de péril imminent

L’accident survenu à Clamart en 1961, dans des carrières de même type creusées dans la craie, incite naturellement les responsables de la sécurité publique à une extrême vigilance.

La stabilité de l’ensemble des galeries souterraines des carrières Arnaudet, indispensable pour assurer la sécurité dans une perspective d’ouverture au public, a été mise en cause en 2012 par le Directeur de l’Inspection Générale des Carrières (IGC) qui, se référant au rapport d’un autre bureau d’étude géotechnique a, par écrit, attiré respectivement l’attention du maire de Meudon et du directeur de l’Etablissement Public Foncier (EPF), sur la dangerosité potentielle des carrières susceptibles de « s’effondrer spontanément ».

Un expert judiciaire, nommé par le tribunal administratif de Cergy Pontoise, se basant sur l’inspection de deux secteurs différents des galeries (fig. 5) a alors recommandé la prise d’un « arrêté de péril imminent ».

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Fig. 5 – Localisation des deux secteurs étudiés

Par ailleurs, les propriétaires des maisons situées en amont de la colline ont sollicité M. Vincent Maury, expert international reconnu en mécanique des roches, notamment de la craie.

Celui-ci a pu ainsi étudier les carrières sous-jacentes aux parcelles des propriétaires, et on lira ci-dessous sa conclusion :

« Conclusion générale :

L’examen des ouvrages souterrains situés sous les parcelles citées montre des ouvrages ne présentant aucun risque raisonnablement justifiable ni de péril imminent dans leurs conditions actuelles de chargement. Il n’a pu être constaté aucune trace de sinistre ancien ou récent dans les zones soumises aux arrêtés de péril concernées par notre mission. Ces ouvrages ne nécessitent aucuns travaux pour répondre aux soucis particuliers exprimés dans les arrêtés de péril concernant :

  • (a)   le comportement des diaclases karstiques,
  • (b)   d’éventuels problèmes liés à un défaut de superposition des piliers,
  • (c)    le comportement de la zone ennoyée.

Nous attirons l’attention sur la circonspection à garder devant des résultats de méthodes et calculs théoriques basés sur des hypothèses non satisfaites sur les secteurs des Carrières Arnaudet que nous avons examinées (sur le comportement de la craie notamment, la géométrie des excavations ou le chargement). Ils sont manifestement démentis dans les zones que nous avons examinées. Les hypothèses sur le comportement de la craie, sur la géométrie des excavations et le mode de creusement notamment doivent être revues pour avoir des calculs représentatifs.

Les Carrières Arnaudet offrent des conditions d’observation scientifique remarquablement sûres, sur des échelles d’espace et de temps dont la Mécanique des Roches ne dispose qu’exceptionnellement. Elles constituent donc le banc de test idéal accessible in situ de la valeur prédictive des méthodes théoriques.

V. Maury, le 29 Mai 2013 »

Nous avions donc deux avis différents venant de deux experts, sur deux secteurs différents.

Les propriétaires ont alors déposé un recours auprès du tribunal administratif de Cergy Pontoise qui a désigné un nouvel expert judiciaire fin 2014 en lui donnant 10 mois pour rendre son rapport…

2 – Les anciennes carrières ouvertes dans les argiles, les calcaires et le gypse : carrières cachées et oubliées

2.1 – L’exploitation des argiles plastiques

La craie est surmontée par une couche d’argiles qualifiées de « plastiques », d’une douzaine de mètres d’épaisseur, qui fut exploitée au XIXème siècle dans une carrière à « ciel ouvert » disposée à flanc de coteau, sur la retombée NE de l’anticlinal de Meudon (fig. 6 ) .

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Fig. 6 – Les argiles plastiques de la colline Rodin (en bleu)

L’inclinaison des couches en « aval pendage » et la plasticité naturelle des argiles, s’est traduit, en 1852, par un important glissement de terrain qualifié, à l’époque, de « déchirement de la montagne » (fig. 7).

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Fig. 7 – Schéma du secteur effondré, cf, « déchirement de la montagne » (extrait de Marie-Thérèse Herlédan)

Après cet incident, l’exploitation fut stoppée et seuls persistent 1 à 2 mètres d’argile constituant une sorte de manteau imperméable au-dessus de la craie.

2.2 – Les carrières ouvertes dans les calcaires du Lutétien

Cette formation géologique est célèbre dans le Bassin de Paris car elle a été utilisée comme pierre de construction pour plusieurs monuments et immeubles et c’est à ce titre qu’elle a été exploitée à Meudon, notamment dans la colline Rodin, en carrière à ciel ouvert.

Les calcaires lutétiens sont situés dans la partie haute du versant où ils constituent un entablement sur lequel sont installés la maison des Brillants devenue le musée Rodin et la statue du célèbre penseur (fig. 8 ).

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Fig. 8 – Les calcaires du Lutétien (en jaune), armature de l’escarpement formant talus dans la partie haute du versant.

2.3 – Les galeries souterraines dans les calcaires et dans le gypse

Ces galeries se présentent selon un tracé sinueux irrégulier (fig. 9)

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Fig. 9 – Tracé irrégulier des galeries souterraines creusées dans les calcaires lutétiens et dans le gypse

Cette répartition irrégulière des galeries souterraines rend très aléatoire la réalisation d’une cartographie précise de leur tracé.

3 – Le remblai : un tapis dangereux

Le versant escarpé de la colline Rodin est recouvert d’un remblai constitué de fragments de roches peu ou mal cimentés et est, de ce fait, instable.

Ainsi, l’escarpement du front de taille de l’ancienne carrière ouverte dans les calcaires lutétiens se traduit dans la topographie par un talus de quelques mètres de hauteur individualisé dans ce remblai (fig. 10).

La stabilité de ce talus est actuellement assurée de façon précaire par la présence d’arbres.

Ce tapis de remblai recouvre l’ensemble du versant rendu ainsi potentiellement instable.

Une étude approfondie, menée par des experts spécialistes de la dynamique des versants, nous paraîtrait judicieuse.

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Fig. 10 – Le remblai (en rouge) recouvrant et masquant le sous-sol du versant de la colline Rodin

Conclusion

La présence dans le sous-sol de plusieurs formations géologiques, exploitées aux XIXème et au XXème siècles en carrières à ciel ouvert ou en galeries souterraines, fragilise à l’évidence ce versant de la colline Rodin.

De plus, cette fragilité est augmentée par la présence d’un épais remblai qui recouvre l’ensemble du versant, conférant à celui-ci une instabilité potentielle qui doit être prise en compte dans les projets d’aménagement envisagés.

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